Texte – Denendeh, terre de 11 langues

Un article publié au printemps/été 2017 par Nouveau Projet.

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En plus de l’anglais et du français, neuf langues autochtones officielles sont reconnues aux Territoires du Nord-Ouest (TNO). Pour cette terre—Denendeh—d’environ 45 000 habitants, cela parait fou. Le chipewyan, le cri, le gwich’in, l’inuinnaqtun, l’inuktitut, l’inuvialuktun, l’esclave du Nord, l’esclave du Sud ou le tłı̨ chǫ qu’on entend ici appartiennent aux langues dénées, inuites et algonquiennes/cries.

Elles véhiculent une culture, mais également des traumatismes. Madelaine Pasquayak, professeure de tłı̨ cho, parle d’une toute petite voix lorsqu’elle se remémore le pensionnat autochtone qu’elle a rejoint à l’âge de cinq ans, à Fort Smith.

«Il était interdit de parler notre langue. Mais les nonnes venues de Montréal, elles, conversaient en français. Pendant longtemps, entendre cette langue me ramenait à ces mauvais souvenirs. J’ai enfin trouvé le chemin de la guérison.»

Madelaine insiste : tant que les jeunes Autochtones ne pourront pas trouver un travail dans leur langue, il y a peu d’espoir. La professeure voit disparaitre les ainés un à un et, avec eux, une partie de cette culture qui repose sur des histoires orales.

Des initiatives existent heureusement pour la protéger. Le gwich’in, par exemple, n’est plus parlé que par environ 335 personnes au nord des tno. Une jeune femme, Jacey Firth-Hagen, a lancé une campagne sur les réseaux sociaux (#SpeakGwichinToMe) pour sensibiliser le grand public à la disparition de sa langue. Après sept ans de travaux, le Gwich’in Tribal Council vient quant à lui de publier des légendes racontées par les ainés sur YouTube en langue originale, sous-titrée en anglais.

Dans la lutte pour la préservation des langues, les Dénés peuvent compter sur Alessandro Jaker. Ce polyglotte américain enseigne à Dettah, une communauté reliée à Yellowknife par une route de glace. Linguiste, il apprend aux jeunes à lire et à écrire dans leur langue natale, ainsi qu’à utiliser les caractères particuliers sur ordinateur.

«Aujourd’hui, il existe des applications pour téléphone qui rendent ces langues plus accessibles. Toutes n’en sont pas au même stade, bien sûr, mais je suis très impressionné par ce qui est fait dans la région Sahtu, par exemple.»

Dans un Canada qui compte 58 langues autochtones, la plupart en voie de disparition, le premier ministre, Justin Trudeau, a promis une nouvelle loi pour en «assurer la protection et la revitalisation» et donner davantage de moyens aux écoles amérindiennes. Aucun détail sur le calendrier législatif n’a pour l’heure été fourni.

Les Premières Nations, les Inuits et les Métis représentent 4,3% de la population canadienne. Leurs idiomes sont les gardiens d’au moins 10 000 ans d’histoire transmise oralement de génération en génération. Ce sont donc des pans entiers de la culture qui doivent être sauvés d’un oubli irréversible.

Journaliste multimédia indépendante / Independent multimedia journalist