Texte – Kilomètre zéro

Un article publié au printemps/été 2018 par Nouveau Projet.

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Ibyuk Pingo, le deuxième plus haut pingo au monde, apparait enfin. À l’issue d’une route de 138 kilomètres à  travers la toundra, derrière cette colline de glace majestueuse, le petit hameau de Tuktoyaktuk accueille ses visiteurs sur les rives de l’Arctique.

C’est la réalisation d’un rêve vieux de cinquante ans. Depuis novembre 2017, une route permanente en gravier construite sur le pergélisol relie désormais Inuvik et «Tuk», le diminutif couramment employé pour désigner le village dans les Territoires du Nord-Ouest. Cette prouesse technique est le résultat de quatre ans de travaux et demandera un entretien constant, mais elle relègue déjà l’ancienne piste  de glace au rang de  souvenir.

Cet investissement de 300 millions $, annoncé par l’ancien premier ministre Stephen Harper en 2014, était supposé faciliter l’accès aux matières premières. Mais depuis le moratoire sur les forages dans l’Arctique, la route doit se trouver une nouvelle raison d’être.

Les 930 habitants de Tuk espèrent aujourd’hui voir les touristes affluer et les prix des produits de consommation baisser. L’inauguration de la route a été une grande fête, ponctuée de discours de décideurs politiques, et l’occasion pour les artisans locaux de vendre des souvenirs made in Tuk. Ici, un magnifique bracelet blanc en peau de phoque. Là, une poupée danseuse faite de peau de phoque et de morceaux de bois récoltés sur la plage. Ella Jean Nogasak, une créatrice âgée de 72 ans, a encore les yeux brillants au souvenir de cette journée «incroyable».

Le festin communautaire, avec le traditionnel muktuk au menu, les danses des Tuk Drummers and Dancers et le feu d’artifice étaient à la hauteur de leurs attentes. Darrel Nasogaluak, le maire, assure que sa communauté s’est préparée à ce chamboulement, par exemple en développant un plan de gestion de la pêche et en repeignant les façades de maisons de couleurs vives. «Nous espérons une vie meilleure et plus saine», dit-il. Tianna Gordon-Ruben, une jeune résidente de Tuk, souhaite quant à elle que l’économie s’améliore grâce à  l’ouverture de nouvelles entreprises. Tous, en tous cas, espèrent que les Canadiens du sud viendront enfin leur rendre visite.

Rien que pour tremper les pieds dans l’océan Arctique ou pour la richesse de la culture Inuvialuit, Tuk vaut bien un road-trip. Google Map ayant fait sa mise à jour, votre GPS devrait trouver cette première route reliant le continent à l’Arctique.

Journaliste multimédia indépendante / Independent multimedia journalist